Intimit et dcouverte de Dieu dans les Confessions de Saint Augustin[1]
Oscar Velsquez
Ë la mmoire du matre,
Andr Mandouze
Le contenu de la pense augustinienne naturellement, peut tre considr de diverses perspectives. Mon intention est dĠexaminer de nouveau le thme de lĠintimit augustinienne, dans sa relation avec la dcouverte de la divinit lĠintrieur de la conscience. La vision de lĠtre humain comme tre spirituel se rvle finalement dans Augustin comme lĠaboutissement dĠun vaste processus de convergences. Les grands courants de la pense antique obtiennent ainsi une nouvelle synthse dont le ciment fondamental sera la pense chrtienne. Dans ces circonstances, la vie de lĠhomme est vue comme un drame o se joue, par lĠaction morale, son propre bonheur.
Ce nĠest pas que les grecs aient fait des recherches sur lĠhomme dĠune manire substantiellement diffrente, comme le prouve non seulement la philosophie mais aussi, dĠune faon extraordinairement lucide, la tragdie. Ce qui change, cependant, dĠune manire transcendantale, me semble-t-il, cĠest lĠaspect radical de lĠanalyse de lĠintimit spirituelle, qui laisse dcouvert le pourquoi de ce drame. Dieu vit dans le plus intime de notre tre ; et pour vivre dans chaque homme, Dieu est vraiment seul dans la mesure o on le dcouvre. Seulement on le dcouvre dans la mesure o on le cherche dans un dialogue de lĠme avec elle-mme.
Mais ce Dieu, mis en vidence par lĠesprit humain, affronte la possibilit de rester comme une dcouverte immanente. CĠest dire, Dieu est le rsultat de notre pense, et non la raison ultime pour laquelle on le pense dans lĠexistence. Or, conformment lĠautre voie, quĠouvre de nouveau Augustin suivant la tradition platonicienne, la divinit se rvle lĠesprit avec de telles caractristiques de perfection que, pour ainsi dire, cela oblige celui qui le rencontre dans la pense le mettre au-del de lĠesprit qui le pense. Parce que Dieu est Dieu, et donc, par le fait dĠtre n lĠintrieur de la conscience, il ne peut quĠexister son tour obligatoirement lĠextrieur de la conscience. Ainsi Dieu est Dieu, quand la conscience qui lĠidentifie, le postule transcendant les limites-mmes de cette conscience.
DĠo lĠtat existentiel complexe qui se produit lĠintrireur de la conscience. Si lĠimmanence triomphe, lĠhomme sĠtablit comme le centre indiscutable de la ralit . Si, dĠautre part, cĠest la transcendance qui sĠimpose, Dieu est la raison suprme de tout, mme, en premier lieu, de lĠhomme. Dans ce dernier cas, la divinit existe dans le noyau le plus intrieur de lĠtre spirituel de telle manire, que lĠhomme ne peut quĠexister fondamentalement par Lui. Alors, les limites de la propre raison discursive qui Le dvoile grce un acte de profonde intimit spirituelle, ont t dpasses par la prsence de lĠobjet divin transcendant. CĠest alors que la divinit devient prsence relle la mme conscience qui lĠa amene la pense. Mais cela nĠest possible quĠune fois la divinit est tablie, pour ainsi dire, dans lĠentendement, et une fois quĠest reconnue lĠidentit du Dieu qui vient la pense.
Une fois en plus quĠest devenue manifeste lĠidentit du Dieu de la foi, qui par la grce se dcouvre lĠintelligence comme pure transcendance, Augustin reconnat se trouver dans une nouvelle situation existentielle. CĠest dire, o les exigences morales de cette divinit dans laquelle se sont rejoints les chemins de la raison et de la foi, dpassent dans une certaine mesure, les simples forces humaines dans leur condition naturelle. Pour cela, dans les Confessions, Augustin avoue que son me se trouve dans un vif tat dĠangoisse, parce que lĠesprit Ç ne se lve pas compltement aprs avoir t lev par la vrit, car il se trouve sous le poids de lĠhabitudeÈ (Conf.VIII, 21).[2] Au milieu de cette Ç dissociation paradoxale È dĠune volont divise (BA, Les Confessions I, 543),[3] se dvoile cependant lĠunit essentielle de lĠtre humain, fonde sur le moi : Ç ego eram È (VIII, 22). La vritable conversion doit sĠachever avec cette Ç dissipatio È (VIII,22), signe du poids et de la prsence dans le cÏur de lĠhomme de plusieurs biens qui mettent en conflit les bonnes volonts, Ç jusquĠ ce quĠun seul objet soit choisi, dans la direction duquel agit une seule volont qui tait divise en plusieurs È (VIII, 24).
La volont ainsi unifie triomphe sur lĠancienne familiaritas, le Ôcomportement intimeĠ (VIII, 24), ce qui est Ç enracin È dans lĠme (inolitum, VIII,25), et la habitudo (26). Il sĠagissait donc dĠun Ç dbat dans mon cÏur qui nĠtait que de moi-mme contre moi-mme È (VIII, 27). Ce sont les rflexions dĠAugustin lui-mme qui voque dans le livre huit les moments dcisifs de sa conversion. Ce qui se convertit cĠest la totalit de lĠtre, de manire que, pour que cela produise son effet il est ncessaire que, dans lĠexercice de cette exprience intrieure, se trouve engag le noyau mme de la ralit spirituelle de lĠhomme. Sa conversion ne pouvait tre considre complte tant que son esprit —qui dans le bosquet, il y a peu de temps, Ç dlirait sainement et mourait vitalement È (VIII,19)— nĠaurait pas trouv dans le centre mme de son esprit lĠunit de son moi. La conversion produit alors la rencontre dcisive avec le pouvoir spirituel unificateur et originaire de la personnalit. Cela a lieu, parce que la conversion Dieu suppose la restructuration de la totalit de lĠtre autour dĠun nouvel objet bon. Devant cette ralit lĠesprit sĠorganise ainsi, dĠune manire originale, dans un ordre renouvel.
CĠest le changement total de lĠtre, intelligence et dsir, qui de la dubitatio transcende la securitas (VIII, 29). Ainsi, au Ç conflit de ma maison intrieure È, au Ç tumulte du cÏur È (VIII, 19), aux Ç fluctuations de lĠirrsolution È (20) —runis finalement dans les tnbres de la dubitatio—, succde maintenant la securitas, cĠest dire, la Ç libration de lĠangoisse È, le Ç calme È. Au de-l des prcisions et des dtails sur les circonstances qui entourent la conversion dans le hortulus, le thme de lĠunit fondamentale de lĠhomme est clairement mis en relief dans le rcit. La conversion Dieu nĠaurait pas t possible si lĠesprit qui se convertit lui nĠavait t, de son ct, cr par lui. Maintenant lĠinquitude a cess : Ç parce que tu nous as fait pour toi, et notre cÏur reste inquiet jusquĠ ce quĠil repose en toi È (I, 1).
Joint au sens religieux incontestable du rcit, celui-ci se trouve indissolublement entrelacer dĠune thse de caractre philosophique, qui a son origine dans la lecture des libri platonicorum des Confesiones VII. La dcouverte de Dieu a lieu dans cette ralit spirituelle qui constitue lĠessence mme de lĠhomme. Voil quĠ lĠintrieur de laquelle (intraui in intima mea duce te, VII, 16) sĠest manifeste la lumire immuable de la vrit. La thse fait remarquer, en consquence, que le retour soi-mme, lĠanimus comme on le dsigne gnralement ici, va uni la connaissance de Dieu. De cette manir, lĠon dit que cet animus —ou cor— est le centre constitutif mme de notre unit. Mais incontestablement le processus ne sĠest pas termin ici pour Augustin, et le livre huit doit indiquer prcisment son couronnement. Dans le livre sept, en consquence, Augustin dit avoir trouv ainsi la certitude de lĠexistence de la vrit :
Et jĠai cout comme on coute dans le cÏur; et plus loin il
nĠy avait pas de quoi douter: je douterais plus facilement de ma vie que de
lĠexistence de la vrit, qui se laisse voir lĠintelligence par
lĠintermdiaire des choses cres (VII,16).
Et effectivement, il reste encore des doutes trs forts au sujet du mode de vie. Face une volont perverse, qui en rsum est la volont Ç ancienne È de laquelle nat la coutume (VIII, 10), il y a la volont nouvelle laisse de ct. Bref, elle est pressentie proche, avec la certitude dj acquise en la vrit (Ç effectivement il avait dj la certitude È, VIII, 11). Si le doute demeure, cĠest que dans lĠesprit reste prsent Ç lĠindcision È, une Ç hsitation È qui sĠexprime dans un retard vritablement vital, qui dans son esprit vient accompagn dĠangoisse (aestibus). CĠest la cunctatio (VIII, 20) dont il fait si fortement lĠexprience dans la scne du jardin. Au-del du doute devant la vrit, la conversion au sens strict est la disparition de tous les doutes (omnes dubitationis tenebrae, VIII, 29). La dubitatio signifie dans ce dernier texte Ç doute par rapport lĠaction È, tandis quĠantrieurement il indiquait plus prcisment Ç lĠincertitude È face la vrit (voir les sens de dubitatio dans OLD).[4]
Il est ncessaire, par consquent, dĠtablir avec plus de clart les deux circonstances du mme processus de dcouverte et conversion qui progresse devant nous dans la lecture des livres VII et VIII des Confessions. En premier lieu, la dcouverte de la vrit se ralise lĠintrieur du systme philosophique fourni par la lecture des libri platonicorum[5]. Dans ces livres, lĠexistence de la vrit va unie la dcouverte de lĠintimit du moi, o se trouve la vrit (cf .VII, 26: Çmais ds la lecture de ces livres des platoniciensÉjĠai eu la certitude que tu existais et que tu tais infiniÉ ; jĠtais vraiment sr de tout cela, mais je me sentais trop faible pour jouir de toi È; et passim). Nous trouvons aussi dans ces livres lĠacceptation encore un peu confuse quĠau-del de la vrit il y a la bont : Caritas nouit eam, o aeterna ueritas et uera caritas et cara aeternitas, tu es deus meusÉ(VII, 16). Ou bien la perception de la bont est claire, mais apparemment sans un plus grand dveloppement immdiat dans la ligne de ce quĠon analyse ici : Ç parce que lui-mme est Dieu et ce quĠil veut pour soi est bon, et lui-mme est le Bien mme È (VII, 6). Ce dernier concept va avoir bientt une importance dcisive, tant donn quĠune grande partie du problme dĠAugustin est dans sa conviction profonde que la contemplation de la vrit ne suffit pas. Il est ncessaire de passer lĠaction, ce qui suppose la plus grande pntration dĠun objet plus mystrieux. Mais dans cette dernire tape de la conversion dominent les accents religieux, la prsence prpondrante du Mdiateur de ce Dieu —associ la lecture des Ecritures—, qui bientt aprs (selon lĠordre chronologique prsent par Augustin lui-mme dans VII, 26 ; et cum postea) aura une importance dcisive dans lĠacte du jardin. Dans le dernier cas, en face des libri des philosophes, il y a un Ç codex È, transform maintenant en Ç oracle È (VIII, 29).
Au-del de la circonstance, que nous supposons historique, des deux rcits, la rflexion dĠAugustin se tourne constamment vers lĠtablissement de ces deux bases, entre la raison et la grce, qui soutiennent la crdibilit intrinsque du rcit. CĠest lĠhistoire dĠun processus intellectuel, qui aboutit, lĠaide de la raison, la foi. A la disparition de la premire dubitatio, dĠordre intellectuel, succde la dissipation dĠune hsitation, marque par le doute qui demeure devant lĠaction; la disparition de ces deux tats proviennent de la lecture:
Je nĠai pas voulu lire davantage, ce nĠetait pas ncessaire: ce qui es
sr cĠest quĠ lĠinstant, avec les derniers mots de cette pense, ce sont
dissipes les tnbres de mon hsitation (dubitationis)
aprs quĠune sorte de lumire de sret (securitatis)
a pntr dans mon cÏur (VIII,29)
Le tolle, lege (VIII, 29) reprsente, donc, le couronnement de deux lectures dcisives, lĠune, celle de Ç certains livres des platoniciens traduits de la langue grecque au latin È qui lui ont t donns Ç par lĠintermdiaire dĠun homme rempli dĠun orgueil rellement demesur È.[6] Elles ont lieu une poque antrieure sa rencontre avec le christianisme comme lecteur, cĠest dire, priusquam scripturas tuas considerarem (VII, 26 ; nous pouvons mme compter parmi les premiers son antrieure lecture, celle de lĠHortensius). LĠautre lecture, dans lĠtape finale, celle des livres sacrs, reprsents la fin du processus par le texte de lĠEptre aux Romains 13, 13ss. Ici, comme l, quelquĠun lĠa pouss lire, sĠil est vrai que dans ce cas, semble-t-il, sous lĠapparence dĠun enfant ou dĠune petite fille. Peut-tre aussi, ce moment, cet orgueilleux, alors quĠil lui offrait un codex des platoniciens lui rptait avec une certaine suffisance prends, lis . Et mme ainsi, Augustin considre que ce fut Dieu qui lui Ç procura È ces livres (procurasti mihi).
Dans le Jardin, cependant, tout est plus proche. Comme dans la Caverne platonique, au-del de ces Ôobjets sans valeurs (nugae), cĠest dire, ÔbagatellesĠ, on se trouve Ç plus prs de la ralit et tourn vers des choses plus relles È (Rep. 515d, o phluarias pourrait correspondre nugae; cf. nugae nugarum, Conf. VII 26, nugarum murmura, 27). De cette faon, dans le Jardin tout sĠentend, se voit, ou se lit, et l se trouve la force en mme temps de synthse et de trouble de tolle, lege. En premier lieu, il est clair que la phrase nĠa pas de sens vident pour celui qui ne connat pas le contexte, la combinaison de circonstances, la squence des mots. Augustin ne connat pas le contexte, et il se demande si de tels mots ont un rapport avec un jeu dĠenfants.
La difficult principale est, me semble-t-il, que Saint Augustin ignore simplement non seulement le contexte de ces deux impratifs, mais aussi leurs complments grammaticaux. Ils pourraient correspondre ce quĠAristote aurait considr parmi les choses Ç sans combinaison È (Categories 1a 16: aneu sumploks, comme ÔhommeĠ ou Ôil courtĠ). Mme si, comme forme verbale, ainsi que lĠaffirme Aristote lui-mme, Çaucune de ses parties nĠest significative en elle-mmeÈ (Potique 1457a 15 ; cf. De Interpretatione 16b 6-7, 16b 19-25). Dans ces circonstances, lĠimportant est de savoir ce quĠont dit ces mots Augustin. Particulirement, comment il a pu les interprter (laissons de ct le Sessorianus et sa lecture de diuina domo): parce que cĠest ici prcisment que les actes de lecture de Saint Augustin atteignent leur point culminant. A partir de Hortensius, livres et lectures vont modeler lĠitinraire de sa vie.
Or, tolle dans le Jardin possde, mon avis, un sens indpendant (sĠil est vrai conscutif) de lege. JusquĠ ce moment, Augustin est tendu par terre sous lĠarbre o, dĠune certaine faon, il sĠest jet, tant donn quĠil ne se rappelle mme pas comment il lĠa fait (VII 128). Si cĠest ainsi, tolle —tant une expression sans combinaison— comme Çun signe de choses dites au sujet dĠune autre choseÈ (De interpretatione 16b 7), et interprte de plus comme venant par mdiation divine (diuinitus interpretans), a pu lui sembler avoir le sens de ÔlveĠ, ÔlveĠ, ÔhausseĠ (Y avait-il un cho ici peut-tre du dernier mot de Plotin?).
Or, lever quoi? Nous ne le savons pas, nous lecteurs, ni lui non plus. Mais peut-tre quĠil pens que ce mot pouvait signifier quelque chose comme Ôlve-toiĠ, Ôanime-toiĠ. En effet, ÔprendreĠ nĠest pas en tout cas le sens le plus courant de tollo, moins quĠil sĠagisse dĠune chose qui a t ramasse du sol. DĠautre part, le livre nĠest pas l sous le figuier, puisquĠ il tait peut-tre Ç sur la table de jeu È (VIII, 14), dĠo Ponticien lĠavait pris auparavant. Avec une concision propre Csar, Augustin avait dit que Ponticien tulit, aperuit, inuenit <apostolum Paulum, inopinate sane>. En rponse maintenant sa propre interprtation Augustin lui-mme, aprs avoir retenu Çle torrent de larmesÈ, et avoir compris ce quĠil jugeait tre lĠobjet de lĠexpression, dit: Çje me suis levÈ (surrexi). QuĠil sĠagissait dĠun impratif adress lui, cela parat clair, car lui-mme lĠa interprt comme un ordre personnel (interpretans diuinitus mihi iuberi). DĠautre part, sĠil a cess de pleurer ce fut, me semble-t-il, cause du sens consolateur quĠil a donn au mot Ç tolle È, qui harmonisait si parfaitement avec son tat dĠaffaiblissement physique et moral.
Quelques lignes plus bas, dans VIII 19, il a employ le mme verbe tollere avec un sens semblable (ossa mea clamabant et in caelum tollebant laudibus). Vers la fin de ces expriences intenses, Saint Augustin avait laiss de ct Alipius et tait all pleurer dans un coin recul du Jardin, prs dĠun figuier. Maintenant venons-en lege. QuĠAugustin lĠinterprte comme une invitation lire cĠest naturel, et cĠest exactement ce quĠil se dispose faire. Car il tait couch (straui). Pour lire le texte, donc, Augustin doit revenir cet endroit o il tait assis il y avait peu de temps avec Alipius dans le hortulus: Ç Ainsi donc, troubl il est revenu cet endroit o Alipius tait assis È. Le livre tait l, et de nouveau Augustin rapporte lĠexcution de trois actions conscutives: arripui, aperui et legi : Ç je lĠai pris, je lĠai ouvert et jĠai lu en silence lĠen-tte È ; cĠtait Saint Paul, Eptre aux Romains XIII 13.
Les sentiments exprims par Augustin aprs sa rencontre avec Ponticien, joint aux vnements qui aboutissent la fameuse scne du Jardin, rvlent sa sincrit. Je suis perplexe, cependant, devant la perception dĠun certain degr de dsquilibre entre le processus de lĠesprit qui trouve la vrit, et lĠitinraire quĠil vient de parcourir la recherche de la perfection. Dans les deux cas, Augustin a t sollicit par des livres, par des lectures qui provoquent, par des circonstances qui engagent. La vrit se rvle lui comme une lumire intrieure, et la splendeur puissante de ses rayons lĠont fait trembler dĠamour et de crainte (VII 16). Mais seulement dans le Jardin le sensuel se reflte de toutes parts, et les dveloppements du raisonnement prennent la forme dĠun Çprofond examen de soi-mmeÈ, qui entrane avec lui et rassemble dans le regard de son cÏur toute sa misre.
Je voudrais y voir une lointaine rsonance de la mthode socratique qui cherche librer lĠme des fausses croyances, comme une manire de la prparer un savoir qui naisse de lĠignorance elle-mme. Mais ici la raison, il y a peu de temps, guide dans la recherche de la vrit, semble tre dpasse par un fait nouveau. CĠest la vrit, mais la vrit cĠest quelquĠun. Maintenant, il coute des voix quĠil doit interprter, et la lecture, au lieu dĠtre comme avant le commencement dĠun processus intrieur devient son point culminant. Ce fut le moment de son levation (tolle), et de la rvlation (lege). Et sans donner tolle, lege un sens purement surnaturel, Ç Augustin en reconnait le caractre insolite È (A. Solignac, Les Confessions I-VII Paris p. 549).
LĠexplication, telle quĠelle est recueillie par Augustin dans son rcit, continue par une srie dĠtapes. Parce que lui, il donne lĠinterprtation que dans tolle, lege il y a un ordre divin de se lever, de parcourir le chemin pour prendre, ouvrir et lire le livre de lĠAptre, qui est prs de Alipius. Lui, il a tourn les yeux vers le capitulum, cĠest dire, cette courte partie au haut de la page. Cette phrase, au sujet de la continence, renferme dĠune certaine manire une indication de la volont de Dieu. Tout cela, en vrit, va au-del des processus rationnels ordinaires; heureusement la phrase finale dans le texte des Confessions que je suis en train dĠanalyser ne dit pas ÔcertitudeĠ mais securitas, cĠest dire, ÔtranquilitĠ, Ôabsence dĠangoisseĠ. CĠest la scurit unie une conviction. Ainsi donc, les rpercussions finales de ces vnements extraordinaires achvent par se manifester dans cette considration finale :
Ç Ce qui est certain cĠest que juste avec la fin de cette phrase, une sorte de lumire de sret a inond mon cÏur, et toutes les tnbres du doute se sont dissipes È (VIII 29 in fin.).
Cela nanmoins ne peut pas tre soutenue par la seule certitude rationnelle.
[1] Le Philosophe Algerien Saint Augustin: africanit et universalit. Tome 2.
Publications du Haut Conseil Islamique: Alger (2004) 13-20.
[2] Ç Non igitur monstrum partim velle,
partim nolle, sed aegritudo animi est, quia non totus assurgit ueritate
subleuatus, conssuetudine praegrauatus È. A partir dĠici, les citations
des Confessions se feront en
indiquant seulement le livre, en chiffres romains, et le paragraphe en chiffres
arabes, sans indiquer le chapitre.
[3]
Le sigle BA indique la Bibliothque Augustinienne, Descle de Brouwer
1962 ; les Confessions I et II
correspondent aux numros 13 et 14 de la collection, avec introduction et notes
de A. Solignac, traduction de E. Trhorel et G. Bouissou.
[4] OLD est le sigle pour Oxford Latin
Dictionary, Oxford 1997.
[5] A
lĠintrieur des subtilits dĠune conversion comme celle de Saint Augustin, il
semble indubitable quĠil y a un laps de temps et une diffrence de type
existentiel entre les deux vnements. On peut dire, en consquence, avec Jos
Oroz Reta : Ç Si, dans un certain sens, la lecture des livres
platoniciens ont pu lĠapprocher dĠ une conception chrtienne du platonisme, ou
dĠune conception platonnisante du christiannisme, ce nĠest pas le
no-platonisme qui lĠa conduit lĠglise (Ç trois lectures et une
conversion. De lĠHortensius lĠ
ptre aux Romains È, dans Augustinus,
vol. XXXVII, 1992, Nĵ 147-148, p. 264). Pour une revision des diverses positions
sur ce thme, voir dans ce mme article,
pp.259-264.
[6] Pour Pierre Courcelle, Recherches sur les Confessions de Saint Augustin, Paris 1968, pp.
153-156, cet homme serait Mallius Theodorus, qui passe pour tre le
reprsentant le plus autoris du plotinisme Milan. Si Thodore lui a prsent
ces livres, difficilement cela doit avoir t dĠune manire hostile ou avec
prpotence (cf. les affirmations cordiales dĠ Augustin en De beata uita, 1,4). Leur desaccord doit tre postrieur.