IntimitŽ et dŽcouverte de Dieu dans les Confessions de Saint Augustin[1]

 

Oscar Vel‡squez

Ë la mŽmoire du ma”tre,

AndrŽ Mandouze

 

Le contenu de la pensŽe augustinienne naturellement, peut tre considŽrŽ de diverses perspectives. Mon intention est dĠexaminer de nouveau le thme de lĠintimitŽ augustinienne, dans sa relation avec la dŽcouverte de la divinitŽ ˆ lĠintŽrieur de la conscience. La vision de lĠtre humain comme tre spirituel se rŽvle finalement dans Augustin comme lĠaboutissement dĠun vaste processus de convergences. Les grands courants de la pensŽe antique obtiennent ainsi une nouvelle synthse dont le ciment fondamental sera la pensŽe chrŽtienne. Dans ces circonstances, la vie de lĠhomme est vue comme un drame o  se joue, par lĠaction morale, son propre bonheur.

Ce nĠest pas que les grecs aient fait des recherches sur lĠhomme dĠune manire substantiellement diffŽrente, comme le prouve non seulement la philosophie mais aussi, dĠune faon extraordinairement lucide, la tragŽdie. Ce qui change, cependant, dĠune manire transcendantale, me semble-t-il, cĠest lĠaspect radical de lĠanalyse de lĠintimitŽ spirituelle, qui laisse ˆ dŽcouvert le pourquoi de ce drame. Dieu vit dans le plus intime de notre tre ; et pour vivre dans chaque homme, Dieu est vraiment seul dans la mesure o on le dŽcouvre. Seulement on le dŽcouvre dans la mesure o on le cherche dans un dialogue de lĠ‰me avec elle-mme.

Mais ce Dieu, mis en Žvidence par lĠesprit humain, affronte la possibilitŽ de rester comme une dŽcouverte immanente. CĠest ˆ dire, Dieu est le rŽsultat de notre pensŽe, et non la raison ultime pour laquelle on le pense dans lĠexistence. Or, conformŽment ˆ lĠautre voie, quĠouvre de nouveau Augustin suivant la tradition platonicienne, la divinitŽ se rŽvle ˆ lĠesprit avec de telles caractŽristiques de perfection que, pour ainsi dire, cela oblige ˆ celui qui le rencontre dans la pensŽe ˆ le mettre au-delˆ de lĠesprit qui le pense. Parce que Dieu est Dieu, et donc, par le fait dĠtre nŽ ˆ lĠintŽrieur de la conscience, il ne peut quĠexister ˆ son tour obligatoirement ˆ lĠextŽrieur de la conscience. Ainsi Dieu est Dieu, quand la conscience qui lĠidentifie, le postule transcendant les limites-mmes de cette conscience.

DĠo lĠŽtat existentiel complexe qui se produit ˆ lĠintŽrireur de la conscience. Si lĠimmanence triomphe, lĠhomme sĠŽtablit comme le centre indiscutable de la rŽalitŽ . Si, dĠautre part, cĠest la transcendance qui sĠimpose, Dieu est la raison suprme de tout, mme, en premier lieu, de lĠhomme. Dans ce dernier cas, la divinitŽ existe dans le noyau le plus intŽrieur de lĠtre spirituel de telle manire, que lĠhomme ne peut quĠexister fondamentalement par Lui. Alors, les limites de la propre raison discursive qui Le dŽvoile  gr‰ce ˆ un acte de profonde intimitŽ spirituelle, ont ŽtŽ dŽpassŽes par la prŽsence de lĠobjet divin transcendant. CĠest alors que la divinitŽ devient prŽsence rŽelle ˆ la mme conscience qui lĠa amenŽe ˆ la pensŽe. Mais cela nĠest possible quĠune fois la divinitŽ est Žtablie, pour ainsi dire, dans lĠentendement, et une fois  quĠest reconnue lĠidentitŽ du Dieu qui  vient ˆ la pensŽe.

Une fois en plus quĠest devenue manifeste lĠidentitŽ du Dieu de la foi, qui par la  gr‰ce se dŽcouvre ˆ lĠintelligence comme pure transcendance, Augustin reconna”t se trouver dans une nouvelle situation existentielle. CĠest ˆ dire, o les exigences morales de cette divinitŽ dans laquelle se sont rejoints les chemins de la raison et de la foi, dŽpassent dans une certaine mesure, les simples forces humaines dans leur condition naturelle. Pour cela, dans les Confessions, Augustin avoue que son ‰me se trouve dans un vif Žtat dĠangoisse, parce que lĠesprit Ç ne se lve pas compltement aprs avoir ŽtŽ levŽ par la vŽritŽ, car il se trouve sous le poids de lĠhabitudeÈ (Conf.VIII, 21).[2] Au milieu de cette Ç dissociation paradoxale È dĠune volontŽ divisŽe (BA, Les Confessions I, 543),[3] se dŽvoile cependant lĠunitŽ essentielle de lĠtre humain, fondŽe sur le moi : Ç  ego eram È (VIII, 22). La vŽritable conversion doit sĠachever avec cette Ç  dissipatio È (VIII,22), signe du poids et de la prŽsence dans le cÏur de lĠhomme de plusieurs biens qui mettent en conflit les bonnes volontŽs, Ç jusquĠ‡ ce quĠun seul objet soit choisi,  dans la direction duquel  agit une seule volontŽ qui Žtait divisŽe en plusieurs È (VIII, 24).

La volontŽ ainsi unifiŽe triomphe sur lĠancienne familiaritas, le Ôcomportement intimeĠ (VIII, 24), ce qui est Ç enracinŽ È dans lĠ‰me (inolitum, VIII,25), et la  habitudo (26). Il sĠagissait donc dĠun Ç dŽbat dans mon cÏur qui nĠŽtait que de moi-mme contre moi-mme È (VIII, 27). Ce sont les rŽflexions dĠAugustin lui-mme qui Žvoque dans le livre huit les moments dŽcisifs de sa conversion. Ce qui se convertit cĠest la totalitŽ de lĠtre, de maniŽre que, pour que cela produise son effet il est nŽcessaire que, dans lĠexercice de cette expŽrience intŽrieure, se trouve engagŽ le noyau mme de la rŽalitŽ spirituelle de lĠhomme. Sa conversion ne pouvait tre considŽrŽe complte tant que son esprit —qui  dans le bosquet, il y a peu de temps,  Ç dŽlirait sainement et mourait vitalement È (VIII,19)— nĠaurait pas trouvŽ dans le centre mme de son esprit lĠunitŽ de son moi. La conversion produit alors la rencontre dŽcisive avec le pouvoir spirituel unificateur et originaire de la personnalitŽ. Cela a lieu, parce que la conversion ˆ Dieu suppose la restructuration de la totalitŽ de lĠtre autour dĠun nouvel objet bon. Devant cette rŽalitŽ lĠesprit sĠorganise ainsi, dĠune manire originale, dans un ordre renouvelŽ.

CĠest le changement total de lĠtre, intelligence et dŽsir, qui de la dubitatio transcende ˆ la securitas (VIII,  29). Ainsi, au Ç conflit  de ma maison intŽrieure È, au Ç tumulte du cÏur È (VIII, 19), aux Ç fluctuations de lĠirrŽsolution È (20) —rŽunis finalement dans les tŽnbres de la dubitatio—, succde maintenant la securitas, cĠest ˆ dire, la Ç libŽration de lĠangoisse È, le Ç calme È. Au de-lˆ des prŽcisions et des dŽtails sur les circonstances qui entourent la conversion dans le hortulus, le thme de lĠunitŽ fondamentale de lĠhomme est  clairement mis en relief  dans le rŽcit. La conversion ˆ Dieu nĠaurait pas ŽtŽ possible si lĠesprit qui se convertit ˆ lui nĠavait ŽtŽ, de son c™tŽ, crŽŽ par lui. Maintenant lĠinquiŽtude  a cessŽ : Ç parce que tu nous as fait pour toi, et notre cÏur reste inquiet jusquĠˆ ce quĠil  repose en toi È (I, 1).

Joint au sens religieux incontestable du rŽcit, celui-ci se trouve indissolublement   entrelacer dĠune thse de caractre philosophique, qui a son origine dans la lecture des libri platonicorum des Confesiones VII.  La dŽcouverte de Dieu a lieu dans cette rŽalitŽ spirituelle qui constitue lĠessence mme de lĠhomme.  Voilˆ quĠ ˆ lĠintŽrieur de laquelle (intraui in intima mea duce te, VII, 16) sĠest manifestŽe la lumire immuable de la vŽritŽ. La thse fait remarquer, en consŽquence, que le retour  ˆ soi-mme, ˆ lĠanimus comme on le dŽsigne gŽnŽralement ici, va uni ˆ la connaissance de Dieu. De cette manir, lĠon dit que cet animus —ou cor— est le centre constitutif mme de notre unitŽ. Mais incontestablement le processus ne sĠest pas terminŽ ici pour Augustin, et le livre huit doit indiquer prŽcisŽment son couronnement. Dans le livre sept, en consŽquence, Augustin dit avoir trouvŽ ainsi la certitude de lĠexistence de la vŽritŽ :

Et jĠai ŽcoutŽ comme on Žcoute dans le cÏur; et plus loin il nĠy avait pas de quoi douter: je douterais plus facilement de ma vie que de lĠexistence de la vŽritŽ, qui se laisse voir ˆ lĠintelligence par lĠintermŽdiaire des choses crŽŽes (VII,16).

Et effectivement, il reste encore des doutes trs forts au sujet du mode de vie. Face ˆ une volontŽ perverse, qui en rŽsumŽ est la volontŽ Ç ancienne È de laquelle na”t la coutume (VIII, 10), il y a la volontŽ nouvelle laissŽe de c™tŽ. Bref, elle est pressentie proche, avec la certitude dŽjˆ acquise en la vŽritŽ (Ç effectivement il avait dŽjˆ la certitude È, VIII, 11). Si le doute demeure, cĠest que dans lĠesprit reste prŽsent Ç lĠindŽcision È, une Ç hŽsitation È qui sĠexprime  dans un retard vŽritablement vital, qui dans son esprit vient accompagnŽ dĠangoisse (aestibus). CĠest la cunctatio (VIII, 20) dont il fait si fortement lĠexpŽrience dans la scne du jardin. Au-delˆ du doute devant la vŽritŽ, la conversion au sens strict est la disparition de tous les doutes (omnes dubitationis tenebrae, VIII, 29). La dubitatio signifie dans ce dernier texte Ç doute par rapport ˆ lĠaction È, tandis quĠantŽrieurement il indiquait plus prŽcisŽment Ç lĠincertitude È face ˆ la vŽritŽ (voir les sens de dubitatio dans OLD).[4]

Il est nŽcessaire, par consŽquent, dĠŽtablir avec plus de clartŽ les deux circonstances du mme processus de dŽcouverte et conversion qui progresse  devant nous dans la lecture des livres VII et VIII des Confessions. En premier lieu, la dŽcouverte de la vŽritŽ se rŽalise ˆ lĠintŽrieur du systme philosophique fourni par la lecture des libri platonicorum[5].  Dans ces livres, lĠexistence de la vŽritŽ va unie ˆ la dŽcouverte de lĠintimitŽ du moi, o se trouve la vŽritŽ (cf .VII, 26: Çmais ds la lecture de ces livres des platoniciensÉjĠai eu la certitude que tu existais et que tu Žtais infiniÉ ; jĠŽtais vraiment sžr de tout cela, mais je me sentais trop faible pour jouir de toi È; et passim). Nous trouvons aussi dans ces livres lĠacceptation encore un peu confuse quĠau-delˆ de la vŽritŽ il y a la bontŽ : Caritas nouit eam, o aeterna ueritas et uera caritas et cara aeternitas, tu es deus meusÉ(VII, 16). Ou bien la perception de la bontŽ est claire, mais apparemment sans un plus grand dŽveloppement immŽdiat  dans la ligne de ce quĠon analyse ici : Ç parce que lui-mme est Dieu et ce quĠil veut pour soi est bon, et lui-mme est le Bien mme È (VII, 6). Ce dernier concept va avoir bient™t une importance dŽcisive, Žtant donnŽ quĠune grande partie du problme dĠAugustin est dans sa conviction profonde que la contemplation de la vŽritŽ ne suffit pas. Il est nŽcessaire de passer ˆ lĠaction,  ce qui suppose la plus grande pŽnŽtration dĠun objet plus mystŽrieux. Mais dans cette dernire Žtape de la conversion dominent les accents religieux, la prŽsence prŽpondŽrante du MŽdiateur de ce Dieu —associŽ ˆ la lecture des Ecritures—, qui bient™t aprs (selon lĠordre chronologique prŽsentŽ par Augustin lui-mme dans VII, 26 ; et cum postea)  aura une importance dŽcisive dans lĠacte du jardin. Dans le dernier cas, en face des libri des philosophes, il y a un Ç  codex È, transformŽ maintenant en Ç oracle È (VIII, 29).

Au-delˆ de la circonstance, que nous supposons historique, des deux rŽcits, la rŽflexion dĠAugustin se tourne constamment vers lĠŽtablissement de ces deux bases, entre la raison et la gr‰ce, qui soutiennent la crŽdibilitŽ intrinsque du rŽcit. CĠest lĠhistoire dĠun processus intellectuel, qui aboutit, ˆ lĠaide de la raison, ˆ la foi. A la disparition de la premire dubitatio, dĠordre intellectuel, succde la dissipation dĠune hŽsitation, marquŽe par le doute qui demeure devant lĠaction; la disparition de ces deux Žtats proviennent de la lecture:

Je nĠai pas voulu lire davantage, ce nĠetait pas nŽcessaire: ce qui es sžr cĠest quĠˆ lĠinstant, avec les derniers mots de cette pensŽe, ce sont dissipŽes les tŽnbres de mon hŽsitation (dubitationis) aprs quĠune sorte de lumire de sžretŽ (securitatis) a pŽnŽtrŽ dans mon cÏur (VIII,29)

Le tolle, lege (VIII, 29) reprŽsente, donc, le couronnement de deux lectures dŽcisives, lĠune, celle de Ç certains livres des platoniciens traduits de la langue grecque au latin È qui lui ont ŽtŽ donnŽs Ç par lĠintermŽdiaire dĠun homme rempli dĠun orgueil rŽellement demesurŽ È.[6] Elles ont lieu ˆ une Žpoque antŽrieure ˆ sa rencontre avec le christianisme comme lecteur, cĠest ˆ dire, priusquam scripturas tuas considerarem (VII, 26 ; nous pouvons mme compter parmi les premiers son antŽrieure lecture, celle de Hortensius). LĠautre lecture, dans lĠŽtape finale, celle des livres sacrŽs,  reprŽsentŽs ˆ la fin du processus par le texte de lĠEp”tre aux Romains 13, 13ss.  Ici, comme lˆ, quelquĠun lĠa poussŽ ˆ lire, sĠil est vrai que dans ce cas, semble-t-il, sous lĠapparence dĠun enfant ou dĠune petite fille. Peut-tre aussi, ˆ ce moment, cet orgueilleux, alors quĠil lui offrait un codex des platoniciens lui rŽpŽtait avec une certaine suffisance prends, lis . Et mme ainsi, Augustin considre que ce fut Dieu qui lui Ç  procura È ces livres (procurasti mihi).

Dans le Jardin, cependant, tout est plus proche. Comme dans la Caverne platonique, au-delˆ de ces Ôobjets sans valeurs (nugae), cĠest ˆ dire, ÔbagatellesĠ,  on se trouve Ç plus prs de la rŽalitŽ et tournŽ vers des choses plus rŽelles È (Rep. 515d, o phluarias pourrait correspondre ˆ nugae; cf. nugae nugarum, Conf. VII 26, nugarum murmura, 27). De cette faon, dans le Jardin  tout sĠentend, se voit, ou se lit, et lˆ se trouve la force en mme temps de synthse et de trouble de tolle, lege.  En premier lieu, il est clair que la phrase nĠa pas de sens Žvident pour celui qui ne conna”t pas le contexte, la combinaison de circonstances, la sŽquence des mots. Augustin ne conna”t pas le contexte, et il se demande si de tels mots ont un rapport avec un jeu dĠenfants.

La difficultŽ principale est, me semble-t-il, que Saint Augustin ignore simplement non seulement le contexte de ces deux impŽratifs, mais aussi leurs complŽments grammaticaux. Ils pourraient correspondre ˆ ce quĠAristote aurait considŽrŽ parmi les choses Ç sans combinaison È (Categories 1a 16: aneu sumploks, comme ÔhommeĠ ou Ôil courtĠ). Mme si, comme forme verbale, ainsi que lĠaffirme Aristote lui-mme, Çaucune de ses parties nĠest significative en elle-mmeÈ (PoŽtique 1457a 15 ; cf. De Interpretatione 16b 6-7, 16b 19-25). Dans ces circonstances, lĠimportant est  de savoir ce quĠont dit ces mots ˆ Augustin. Particulirement, comment il a pu les interprter (laissons de c™tŽ le Sessorianus et sa lecture de diuina domo): parce que cĠest ici prŽcisŽment que les actes de lecture de Saint Augustin atteignent leur point culminant. A partir de Hortensius, livres et lectures vont modeler lĠitinŽraire de sa vie.

Or, tolle dans le Jardin possde, ˆ mon avis,  un sens indŽpendant (sĠil est vrai  consŽcutif) de lege. JusquĠˆ ce moment, Augustin est Žtendu par terre sous lĠarbre o, dĠune certaine faon, il sĠest jetŽ, Žtant donnŽ quĠil ne se rappelle mme pas comment il lĠa fait (VII 128). Si cĠest ainsi, tolle —Žtant une expression sans combinaison— comme Çun signe de choses dites  au sujet dĠune autre choseÈ  (De interpretatione 16b 7), et interprtŽe de plus comme venant par mŽdiation divine (diuinitus interpretans), a pu lui sembler avoir le sens de ÔlveĠ, ԎlveĠ, ÔhausseĠ (Y avait-il un Žcho ici peut-tre du dernier mot de Plotin?).

Or, lever quoi? Nous ne le savons pas, nous lecteurs, ni lui non plus. Mais peut-tre quĠil pensŽ  que ce mot pouvait signifier quelque chose comme Ôlve-toiĠ, Ôanime-toiĠ. En effet, ÔprendreĠ nĠest pas en tout cas le sens le plus courant de tollo, ˆ moins quĠil sĠagisse dĠune chose qui a ŽtŽ ramassŽe du sol. DĠautre part, le livre nĠest pas lˆ sous le figuier, puisquĠ il Žtait peut-tre Ç sur la table de jeu È (VIII, 14), dĠo Ponticien lĠavait  pris auparavant. Avec une concision propre ˆ CŽsar, Augustin avait dit que Ponticien tulit, aperuit, inuenit <apostolum Paulum, inopinate sane>. En rŽponse maintenant ˆ sa propre interprŽtation Augustin lui-mme, aprs avoir retenu Çle torrent de larmesÈ, et avoir compris ce quĠil jugeait tre lĠobjet de lĠexpression, dit: Çje me suis levŽÈ (surrexi). QuĠil sĠagissait dĠun impŽratif adressŽ ˆ lui, cela para”t clair, car lui-mme lĠa interprtŽ comme un ordre personnel (interpretans diuinitus mihi iuberi). DĠautre part, sĠil a cessŽ de pleurer  ce fut, me semble-t-il, ˆ cause du sens consolateur quĠil a donnŽ au mot Ç tolle È, qui harmonisait si parfaitement avec son Žtat  dĠaffaiblissement physique et moral.

Quelques lignes plus bas, dans VIII 19, il a employŽ le mme verbe tollere avec un sens semblable (ossa mea clamabant et in caelum tollebant laudibus). Vers la fin de ces expŽriences intenses,  Saint Augustin avait laissŽ de c™tŽ ˆ Alipius et Žtait allŽ pleurer dans un coin reculŽ du Jardin, prs dĠun figuier. Maintenant venons-en ˆ lege. QuĠAugustin lĠinterprte comme une invitation ˆ lire cĠest naturel, et cĠest exactement ce quĠil se dispose ˆ faire. Car il Žtait couchŽ (straui). Pour lire le texte, donc, Augustin doit revenir ˆ cet endroit o il Žtait assis il y avait peu de temps avec Alipius dans le hortulus: Ç Ainsi donc, troublŽ il est revenu ˆ cet endroit  o Alipius Žtait assis È. Le livre Žtait lˆ, et de nouveau Augustin rapporte lĠexŽcution de trois actions consŽcutives: arripui, aperui et legi : Ç je lĠai pris, je lĠai ouvert et jĠai lu en silence lĠen-tte È ; cĠŽtait Saint Paul, Ep”tre aux Romains XIII 13.

Les sentiments exprimŽs par Augustin aprs sa rencontre avec Ponticien, joint aux Žvnements qui aboutissent ˆ la fameuse scne du Jardin, rŽvlent sa sincŽritŽ. Je suis perplexe, cependant, devant la perception dĠun certain degrŽ de dŽsŽquilibre entre le processus de lĠesprit qui trouve la vŽritŽ, et lĠitinŽraire quĠil vient de parcourir ˆ la recherche de la perfection. Dans les deux cas, Augustin a ŽtŽ sollicitŽ par des livres, par des lectures qui provoquent, par des circonstances qui engagent. La vŽritŽ se rŽvle ˆ lui comme une lumire intŽrieure, et la splendeur puissante de ses rayons lĠont fait trembler dĠamour et de crainte (VII 16). Mais seulement dans le Jardin le sensuel  se reflte de toutes parts, et les dŽveloppements du raisonnement prennent la forme dĠun Çprofond examen de soi-mmeÈ, qui entra”ne  avec lui et rassemble dans le regard de son cÏur toute sa misre.

Je voudrais y voir une lointaine rŽsonance de la mŽthode socratique qui cherche ˆ libŽrer lĠ‰me des fausses croyances, comme une manire de la prŽparer ˆ un savoir qui naisse de lĠignorance elle-mme. Mais ici la raison, il y a peu de temps, guide dans la recherche de la vŽritŽ, semble tre dŽpassŽe par un fait nouveau. CĠest la vŽritŽ, mais la vŽritŽ cĠest quelquĠun. Maintenant, il Žcoute des voix quĠil doit interprŽter, et la lecture, au lieu dĠtre comme avant le commencement dĠun processus intŽrieur devient son point culminant. Ce fut le moment de son Žlevation (tolle), et de la rŽvŽlation (lege). Et sans donner ˆ tolle, lege un sens purement surnaturel, Ç Augustin en reconnait le caractre insolite È (A. Solignac, Les Confessions I-VII Paris p. 549).

LĠexplication, telle quĠelle est recueillie par Augustin dans son rŽcit, continue par une sŽrie dĠŽtapes.  Parce que lui,  il donne lĠinterprŽtation que dans tolle, lege il y a un ordre divin de se lever, de parcourir le chemin pour prendre, ouvrir et lire le livre de lĠAp™tre, qui est prs de Alipius. Lui, il a tournŽ les yeux vers le capitulum, cĠest ˆ dire, cette courte partie au haut de la page. Cette phrase, au sujet de la continence, renferme dĠune certaine manire une indication de la volontŽ de Dieu. Tout cela, en vŽritŽ, va au-delˆ des processus rationnels ordinaires; heureusement la phrase finale dans le texte des Confessions que je suis en train dĠanalyser ne dit pas ÔcertitudeĠ mais securitas, cĠest ˆ dire, ÔtranquilitŽĠ, Ôabsence dĠangoisseĠ. CĠest la sŽcuritŽ unie ˆ une conviction. Ainsi donc, les rŽpercussions finales de ces Žvnements extraordinaires achvent par se manifester dans cette considŽration finale :

Ç  Ce qui est certain cĠest que juste avec la fin de cette phrase, une sorte de lumire de sžretŽ a inondŽ mon cÏur, et toutes les tŽnbres du doute se sont dissipŽes È (VIII 29 in fin.).

Cela nŽanmoins ne peut pas tre soutenue par la seule certitude rationnelle.



[1]  Le Philosophe Algerien Saint Augustin: africanitŽ et universalitŽ. Tome 2. Publications du Haut Conseil Islamique: Alger (2004) 13-20.

[2] Ç Non igitur monstrum partim velle, partim nolle, sed aegritudo animi est, quia non totus assurgit ueritate subleuatus, conssuetudine praegrauatus È. A partir dĠici, les citations des Confessions se feront en indiquant seulement le livre, en chiffres romains, et le paragraphe en chiffres arabes, sans indiquer le chapitre.

[3]  Le sigle BA indique la Bibliothque Augustinienne, DesclŽe de Brouwer 1962 ; les Confessions I et II correspondent aux numŽros 13 et 14 de la collection, avec introduction et notes de A. Solignac, traduction de E. TrŽhorel et G. Bouissou.

[4] OLD est le sigle pour Oxford Latin Dictionary, Oxford 1997.

[5]  A lĠintŽrieur des subtilitŽs dĠune conversion comme celle de Saint Augustin, il semble indubitable quĠil y a un laps de temps et une diffŽrence de type existentiel entre les deux Žvnements. On peut dire, en consŽquence, avec JosŽ Oroz Reta : Ç Si, dans un certain sens, la lecture des livres platoniciens ont pu lĠapprocher dĠ une conception chrŽtienne du platonisme, ou dĠune conception platonnisante du christiannisme, ce nĠest pas le nŽo-platonisme qui lĠa conduit ˆ lĠƒglise (Ç trois lectures et une conversion. De lĠHortensius ˆ lĠ ƒp”tre aux Romains È, dans Augustinus, vol. XXXVII, 1992, Nĵ 147-148, p. 264). Pour une revision des diverses positions sur ce thme, voir dans ce mme article,  pp.259-264.

[6] Pour Pierre Courcelle, Recherches sur les Confessions de Saint Augustin, Paris 1968, pp. 153-156, cet homme serait Mallius Theodorus, qui passe pour tre le reprŽsentant le plus autorisŽ du plotinisme ˆ Milan. Si ThŽodore lui a prŽsentŽ ces livres, difficilement cela doit avoir ŽtŽ dĠune manire hostile ou avec prŽpotence (cf. les affirmations cordiales dĠ Augustin en De beata uita, 1,4). Leur desaccord doit tre postŽrieur.